L’art de la reliure : le savoir-faire d’une poignée d’experts

©Frédéric Boyadjian

Au Centre Technique de la BnF de Bussy-Saint-Georges, le silence est laborieux, les gestes précis ; ici une relieuse retouche à l’aquarelle le dos d’un livre. Là, une seconde façonne une pièce de cuir au couteau à parer… pour l’affiner jusqu’à obtenir la bonne épaisseur, celle de la reliure originale.

Le savoir-faire d’une poignée d’experts

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« La pièce viendra renforcer la coiffe usagée du livre », précise Julie Piéton. Et pourtant, un faux angle donné à son outil suffira à déchirer le cuir… « Il faut dix ans à un relieur avant de parfaitement maîtriser les techniques de restauration des livres anciens », lance Gilles Beddok, chef de service à la BnF. Le temps de connaître les matières, les peaux, les encres, les papiers ; aucun ne réagira de la même manière aux colles et aux teintes.

Dans les ateliers de la BnF, 10 restaurateurs œuvrent à la maintenance, à la consolidation et à la rénovation des ouvrages contenus dans les 325 kilomètres linéaires de l’entité nationale… Un Paris-Rennes fait de livres, d’affiches, de magazines et de documents en tout genre. Impressionnant ! Et lorsque les livres sont usés, fatigués, les conservateurs de la BnF les adressent aux mains adroites des restaurateurs. Dans les différentes salles du centre de Bussy (le laboratoire, l’atelier restauration, la salle humide…), il sera alors question de gommage, de dépoussiérage, de couture des tranches fines, de façonnage ou reprise des reliures pour que de nouveau, les documents soient consultables.

« Même si le procédé de fabrication d’un livre est le même depuis des siècles, les petits détails viennent nous raconter son histoire. Le décor des tranches fines, la couleur du papier, le tannage et les qualités de peaux sont autant de témoignages d’époques différentes », s’accordent les restaurateurs.

Et finalement, ce n’est pas tant le texte qui les intéresse, mais l’esthétique des livres : les enluminures, les décors, la diversité des matières. Car au cuir, au papier, au carton s’ajoutent d’autres compositions, plus rares, comme les reliures en bois ou les manuscrits décorés de pierres précieuses… Et Gilles Beddok de conclure : « c’est aussi la richesse de la collection de la BnF qui fonde la compétence de notre équipe. »

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Une fois l’acidité du papier corrigée, Julie Clousier comble les déchirures avec de la pâte à papier.

Une transmission raréfiée

Ni école ni centre de formation, la restauration d’un livre s’apprend sur le tas, aux côtés de professionnels. Le métier mêle travail du cuir, couture, peinture et évolue sans cesse.

« Lorsque la BnF a récupéré le fond Garnier, architecte de l’Opéra Garnier, nous devions restaurer les calques. Ce sont les archives nationales (ANF) qui nous ont enseigné leur technique », explique Anne Quensière, chef d’atelier à la BnF.

Quelques mois plus tôt, l’équipe a dû faire face aux interrogations pour mettre au point une expertise afin de restaurer des sceaux en cire : « nous ne sommes pas que des opérationnels, car je peux vous dire que devant une restauration, il y a toujours une réflexion à mener sur la meilleure façon de faire », sourit Anne.

Des précisions qui ont leur importance

• À l’atelier papier, Julie Clousier restaure les documents sans reliure. Les papiers sont trempés dans des bains d’eau pour retirer une partie de l’acidité.

• Pour combler les documents feuilles, le CTBnF a créé son nuancier papier : une mémoire recomposée des différentes teintes de papiers possibles.

• Le CTBnF fabrique ses pâtes à papier à partir de boulettes de papier mixées à une colle à base de cellulose.

• Une restauration BnF doit être visible et réversible

• Selon la nomenclature, la maintenance d’un livre compte moins de 3 heures d’intervention et porte sur des petites reprises (rattacher les plats, refaire les coins, les coiffes, les coutures…). Alors qu’une rénovation porte sur plus de 10 heures de travail pour refaire la structure du livre.

• Le papier le plus couramment utilisé en restauration est le papier japonais

• « Les restaurations se font en général sur les ouvrages les plus précieux, toujours selon les codes de l’époque » – Anne Quensière, responsable d’équipe.

• À Bussy, 235 consolidations, 295 maintenances, 2 000 documents-feuilles et 50 restaurations sont prévus en 2016

• Certains ouvrages particulièrement précieux requièrent un acheminement ultra sécurisé entre Tolbiac et l’atelier de Bussy : navette spéciale, caisse sécurisée et géolocalisation.

©Frederic Boyadjian