Touroul-Chevalerie, tapissier décorateur

« Nous sommes tapissiers. »

Rencontre avec Guillaume Touroul-Chevalerie.

Il y a quelques temps, nous avons eu l’occasion de rencontrer Guillaume Touroul-Chevalerie, tapissier et chef d’entreprise, installé à Chanteloup-en-Brie.  

Pouvez-vous nous présenter votre entreprise et nous parler de votre parcours ?

L’entreprise actuelle a été créée en 1969 par mes parents. Depuis 1853, nous sommes  tapissiers de père en fils : c’est une entreprise familiale qui compte aujourd’hui 18 personnes.

Être tapissier chez nous c’est une culture.

Nous nous définissons comme tapissiers ce qui signifie que nous avons beaucoup développé notre activité dans la confection mais nous ne sommes pas confectionneurs. Nous proposons un service qui va de l’assistance au choix du tissu, parfois même la personnalisation du tissu, l’analyse du besoin du client, à la réalisation et à l’installation. S’il n’y a pas toutes ces étapes-là, ce n’est plus le métier de tapissier.

D’ailleurs la première phrase sur notre site internet c’est : « Nous sommes tapissiers ».

Nous nous occupons aussi bien d’un client particulier qui a un fauteuil à refaire que de l’ensemble des rideaux de Villages Nature. L’éventail est large sur la quantité, sur le type de travaux que nous réalisons puisque nous faisons du siège, de la moquette, du rideau par contre l’éventail est restreint dans ce qu’on va accepter de faire. Par exemple, nous ne faisons que de la moquette tendue. La moquette collée ce n’est pas notre métier. Nous faisons de la tenture murale mais nous ne ferons pas du papier peint.

Vous m’avez dit que vous exerciez une autre activité avant de rejoindre l’entreprise familiale. Qu’est-ce qui a motivé votre retour ?

Bien sûr il y avait le côté « Entreprise familiale », mais j’aime bien aussi le produit que nous travaillons, le côté traditionnel et contemporain de l’activité. Revenir m’a semblé naturel.

Je baignais dedans depuis que j’étais enfant.

L’atelier était sur le même terrain que la maison. Quand j’étais gamin, je traversais l’atelier en rentrant de l’école. Je me suis rendu compte que j’avais une culture générale de tapissier aussi pointue que celle de quelqu’un qui aurait suivi une formation. J’ai certainement moins d’expérience sur la réalisation du siège en lui-même. Par contre j’ai un regard affuté sur le sujet : je vois lorsqu’une chose n’est pas faite comme elle aurait dû l’être. Ce n’est pas ma formation, c’est ma culture.

Fauteuil Louis XIV
©Laura Gadea

Auriez-vous des conseils à donner à une personne qui souhaiterait se lancer dans la tapisserie ?

Il faut une formation.

Puis il faut prendre du recul sur sa formation qui est souvent très axée sur la tapisserie traditionnelle. Il faut être ouvert aux nouvelles techniques, pas toujours enseignées. Aujourd’hui des clients nous amènent des sièges en mousse, donc il faut avoir les connaissances pour les restaurer, en plus des connaissances sur les sièges en crin.

Nous faisons de l’impression numérique pour personnaliser des rideaux. Il faut aussi savoir s’adapter aux tringles électriques motorisées raccordées à la domotique donc avoir quelques notions en électricité.

C’est hyper important d’avoir une ouverture d’esprit sur le moderne et une culture générale sur tout ce qui est design et architecture. Aujourd’hui, nous travaillons avec des architectes.
Nous discutons avec le client qui attend de son tapissier qu’il ait du goût, qu’il reconnaisse le style de fauteuil jusqu’au design récent.

Dessin Jean-Paul Gaultier pour la maison Lelièvre

Pourquoi les clients choisissent-ils de venir chez vous ?

Ils viennent pour notre culture et notre conseil… mais pas uniquement.

Ce qui fait la différence entre nous et le vendeur d’une grande enseigne, c’est un certain niveau de prestation, dans la réalisation mais également dans l’échange. Nous vendons une déco, un état d’esprit, des choses dans lesquelles les gens se sentent bien et nous assurons un vrai service après-vente.

Nous proposons différents tissus autour desquels nous sommes capables de raconter une histoire. Par exemple, ce tissu s’inspire de telle région, de telle ethnie, de tel château du 18ème siècle en Roumanie… Il est important, pour se différencier des produits industriels de masse, d’être capable de véhiculer un récit et un vécu. Les gens viennent chercher une écoute et une histoire.

Est-ce que ces grandes entreprises comme Ikéa, Leroy Merlin ont eu un impact sur votre métier ?

Les gens ont parfois des difficultés à comprendre que ça coûte des sous de fabriquer des rideaux ! Dans des zones commerciales, ils voient sur les vitrines de ces magasins « Confection offerte ». Là, je me dis que je vais avoir du mal à m’aligner.

Mais je pense que nous n’avons pas la même clientèle. Ces magasins n’ont pas eu un tel impact que ça. Alors, peut-être que le changement a eu lieu avant, mais pas ces 30 dernières années.

Le client du tapissier traditionnel a un certain âge, le mien a 65 ans. Il apporte le fauteuil du grand-père pour le refaire. Il est attaché à son siège de famille. C’est également un client qui a un budget important.

Travaillez-vous avec des clients de proximité ou des clients qui vivent hors Marne et Gondoire ?

Clairement en dehors du territoire.

Essentiellement sur Paris et sur la région parisienne pour des particuliers. Sinon pour l’hôtellerie on va du nord d’Edimbourg au sud de la Sicile et de la Bretagne à Vienne en Autriche.

L’essentiel de mon volume d’activité c’est l’hôtellerie française.

Pour Villages Nature, nous avons répondu à un appel d’offre. Un projet comme celui-ci c’est trois à quatre ans de travail. Nous avons fait les deux tiers du parc. Nous travaillons également pour Center Parcs depuis très longtemps.

Quel est le projet le plus original auquel vous avez participé ?

Il y en a plein parce qu’on fait plein de trucs « barge »! (sourire

En mars 2019, le projet le plus atypique que l’on a fait c’est pour une grande maison de haute couture. Je n’aurais pas pu imaginer qu’un jour je me retrouve à faire du mobilier pour un podium de défilés de haute couture.

Quel est le projet que vous auriez aimé réaliser ?

Mon côté affreusement positif m’incite à dire que tous les projets qui me sont passés dans les mains et que j’ai vraiment rêvé d’avoir, je les ai eus. J’ai eu très peu de frustration.

Est-ce que vous avez des limites techniques, ou éthiques ?

Touroul Chevalerie est une entreprise encore très personnelle, ce qui veut dire que les prises de décision peuvent être irrationnelles. Mais, plus nous sommes nombreux, plus il faut être rationnel. Nous faisons plus attention en termes de coût. Je ne peux plus me lancer dans un gros projet qui m’éclate et qui serait réalisé à perte parce que nous avons la responsabilité de 18 personnes. Après, sur une petite pièce …

La relation avec le client est importante. Par exemple, s’investir pendant plusieurs semaines sur le projet d’un particulier qui à la fin marchande le prix « du temps passé »… A la fin, le projet n’aboutit pas et chacun part de son côté.

Si le lien entre le client et moi ne se fait pas, je peux refuser le projet quel que soit le prix.

Tout passe dans le relationnel.

Projet la poste du futur par En Bande Organisée©Pauline Deltour

Avez-vous déjà eu des projets « carte blanche » ?

(Il revient avec son book)

Je m’éclate sur ce type de projets même s’ils sont rares. J’ai réalisé un crapaud à bosse Charles X avec des coloris pas du tout prévus pour, avec des petites pampilles en verre. Mon seul regret c’est qu’elles ne s’allument pas (rires).

Avec des clients que je connais bien, je me permets des conseils pour modifier leur projet initial.

Fauteuil duo _ commande ©Touroul Chevalerie

Quelles sont vos sources d’inspiration ?

C’est comme ça vient, en fonction des tissus.

Je choisis les tissus que j’aime bien, je les expose et en discutant avec le client je me dis que tel tissu irait bien avec le projet. Si le client n’est pas du tout réceptif, je ne le pousse pas. Sur un fauteuil Louis XIII, on peut garder le style avec les rayures mais jouer avec les couleurs.

Mon inspiration c’est le fauteuil et le tissu que je souhaite appliquer au fauteuil.

Nous faisons également du très classique.

Je suis parfois inspiré par la vie des clients. Nous avons réalisé la tapisserie de deux fauteuils appartenant à un couple. Pour madame, passionnée par le théâtre, nous avons fait un fauteuil rouge. Pour monsieur, le tissu est différent et correspond à son tempérament plus tranquille.

Travaillez-vous avec d’autres artisans d’art ou artistes du territoire ?

Je travaille avec Frédéric Dourron, ébéniste à Thorigny-sur-Marne. Son activité est complémentaire à la nôtre. Quand nous avons un fauteuil qui a besoin d’une restauration, je fais appel à lui.

Nous avons également travaillé sur des rideaux avec imprimés numériques représentant « la Cène » de Léonard de Vinci mais revisitée avec la présence de personnalités du XXème  et XXIème siècles comme Maryline Monroe, Steve Jobs…C’est un graphiste qui a réalisé cette représentation.

Hôtel Mercure Aix Les Bains déco par l’agence Igllo ©DR

Pouvez-vous décrire votre entreprise en 4 mots ?

Pluriel : c’est pour les gens, des personnalités différentes.

Tradition et modernité, volontairement les 2.

Créativité.

Est-ce qu’il y a des professionnels des métiers d’art avec lesquels vous auriez aimé travailler ?

J’aurais aimé travailler sur la personnalisation. J’aime le concept d’un tapissier associé à un artiste pour créer.

Un artiste produit quelque chose, puis cherche le client. Ce que nous concevons est lié au besoin du client.

Selon vous y a-t-il une différence essentielle entre artisan d’art et artiste ?

L’artisan réalise un objet, un artiste une œuvre.

La démarche doit être créative et en rapport avec l’échange que nous avons eu avec le client. L’artisan se doit de créer un objet fonctionnel. Pour l’artiste cela est secondaire.

L’artisan conçoit un fauteuil dans lequel on est bien installé. Si l’objet est créatif et beau mais pas fonctionnel, ce n’est pas un artisan. Pour moi, la différence est dans la fonctionnalité du produit.

Par contre, je ne fais pas de différence entre un artisan et un artisan d’art.

Si c’est un bon artisan, c’est forcément un artisan d’art. D’ailleurs, on parle pour un artisan de « respecter les règles de l’art ».

C’est quoi la différence entre artisan et artisan d’art ? Pour moi c’est un pléonasme de dire artisan d’art. Ce qui est compliqué c’est que « artisan » est également une forme de structure juridique.

Un artisan c’est une personne qui est compétente mais il est vrai que tous ne sont pas créatifs.

Exposition de créations ©Touroul-Chevalerie Lors des JEMA 2019

Question à poser pour notre prochaine rencontre avec un acteur de la création de notre territoire ?

N’y a-t-il que la tradition pour être artisan d’art aujourd’hui ?